Histoire de l'abbaye

Neuf siècles d’histoire

L’abbaye de Grestain fut saintement conduite par ses premiers abbés. Pendant des décennies, elle joua le rôle assigné à cette époque aux abbayes qui consistait, outre leur fonction spirituelle, à s’occuper des indigents et des malades.

Parmi ces abbés :

  • Renaud de la Roque, un homme d’une grande piété.
  • Foulques, dont les anciennes chartes disent qu’il était : « Vir justus et pacis amator », homme vertueux et ami de la paix.
  • Herbert : « Vir venerandus. Lumen erat caeco, pes claudo, panis egeno. », homme vénérable. Il était la lumière de l’aveugle, le pied du boiteux, le pain de l’indigent.

En l’an 1180 avec l’élection de Guillaume Huband d’Exeter, cette belle tradition fut gravement trahie. A peine élu, il quitta Grestain et se rendit en Angleterre pour y vivre en châtelain des revenus dont l’abbaye disposait là-bas. Sans guide, les moines de Grestain se livrèrent à des comportements si dépravés, que l’évêque de Lisieux s’en plaignit au pape Alexandre III.

« Il est un monastère, lui écrivit-il, nommé Grestain, qui autrefois répandait tout alentour une odeur de sainteté, mais sous l’administration de cet abbé, le désordre y est apparu (…)
La conduite scandaleuse des religieux (…) est offerte aux regards de tous … ils ne pratiquent plus la charité envers les autres …
un des moines tua le cuisinier (…) il l’assomma du coup vigoureux d’un lourd pilon (…) L’abbé s’est mis en route pour aller vers vous. C’est un homme dissolu et menteur (…) »

Cet épisode criminel, marqué par au moins deux meurtres, dura cinq ans. Il fut clos par le remplacement de l’abbé et de tous ces moines pervertis.

La vie monastique put alors reprendre un cours normal comme en témoigne avec satisfaction Eude Rigaud archevêque de Rouen dans le journal de ses visites pastorales qui date des années 1250.

C’est plus tard que les vraies difficultés commencèrent. L’abbaye fut pillée plusieurs fois par les Anglais pendant la guerre de Cent ans.
Elle servit d’abri, tant à la soldatesque qu’à des brigands,

Néanmoins, elle survécut. En 1450 Charles VII y séjourna près d’un mois pour surveiller le siège de Honfleur. C’est là qu’il conçut l’ordonnance prescrivant une enquête sur le procès de Jeanne d’Arc.

La Normandie, revenue sous l’autorité du roi de France, les modalités de fonctionnement de l’abbaye changèrent. Comme presque toutes les abbayes de France, elle tomba sous le régime de la « commende ». L’abbé n’est plus élu par les moines mais nommé par le roi. Il n’est pas tenu de résider dans son abbaye dont les revenus lui sont directement versés, à l’exception de la « portion congrue » destinée à l’entretien des moines et des bâtiments. Somme fort insuffisante. Sauf de courtes périodes de redressement, l’abbaye entra en décadence. Le nombre des moines qui y résidaient chuta fortement et ses bâtiments, faute d’entretien, tombèrent peu à peu en ruine.

En 1757, par décision de l’Intendant général du clergé, l’abbaye fut abolie pour devenir une simple chapellenie servie par un chapelain. L’église abbatiale et le cloître furent entièrement démolis de même que les bâtiments conventuels, à l’exception du réfectoire voûté du XIIe siècle au-dessus duquel fut bâtie une maison pour le chapelain.
Avec les pierres de démolition on lui construisit également une grange et l’on rebâtit pour lui l’ancienne chapelle.

En 1790, devenue bien national, l’ancienne abbaye fut vendue à un armateur du Havre, puis elle passa entre les mains de plusieurs familles avant d’être convertie en ferme. Il s’en fut de peu que le souvenir de ses origines se perdît.